Comment présenter le laboratoire GEGENA1 que vous dirigez depuis 2001 ?
Il s’agit d’une unité de recherche de l’URCA, à cheval sur les pôles EXEBIO2 et SHS3, qui comprend une quarantaine de personnes. Nous travaillons sur les géosciences en relation avec la société humaine, plus particulièrement sur l’eau, les sols et la surface. A titre personnel, je suis spécialiste des matériaux de construction, des carrières et des monuments.
Comment le projet Cellars vient-il s’insérer dans ce programme ?
Au sein du laboratoire, nous intervenons déjà sur les milieux souterrains, mais plutôt sur les carrières anciennes, notamment dans le Bassin parisien. L’idée de Cellars est venue de la Mission. Y étant moi-même membre du groupe Environnement et, maintenant, du Conseil scientifique, le rapprochement a été naturel. Il constituera une brique dans le projet plus vaste de Chaire UNESCO qui est en cours de construction.
À part votre laboratoire, qui est impliqué ?
Suivant la dimension que prendra le projet, il sera nécessaire de trouver des forces complémentaires sur l’aspect numérique et informatique qu’on maîtrise moins. Par exemple, nous savons travailler sur des images 3D, de petits réseaux de salles et des galeries, mais nous n’avons pas la capacité de travailler sur les plus grands réseaux de caves. Ces compétences existent à l’URCA au sein du LICIIS4 qui a une spécialité de traitement de données sur de gros volumes et la particularité d’héberger le Centre Image de l’URCA spécialisé dans la visualisation et l’immersion 3D. Pour bien comprendre, il faut imaginer que les scanner 3D permettent d’enregistrer des millions de points pour pouvoir « visualiser » des détails ou reconstituer le volume de ce qu’elles observent. D’où le besoin de compétences et de traitement informatique très sophistiqué autour de notre laboratoire. De la même façon, nous sommes en capacité de faire des investigations de caves, mais pour nous accompagner et avoir des véritables avis sur la vulnérabilité face aux risques, il serait intéressant d’avoir une collaboration avec le BRGM5 qui intervient sur tous les problèmes de stabilité de cavités. Nous sommes aussi en train de voir comment associer d’autres partenaires, comme le bureau d’étude l’IGECAV, spécialiste de la numérisation 3D de espaces souterrains et qui a déjà numérisé une partie des caves de Champagne.
En quoi consiste le projet Cellars ?
Nous allons essayer de caractériser des caves emblématiques de la Champagne. Nous partons sur un objectif d’une quarantaine de caves, de dimensions variables, de plusieurs types, réparties sur la Champagne viticole, caractéristiques de la diversité des solutions qu’ont les Champenois pour creuser le sous-sol. Dans un deuxième temps, on prévoit d’équiper cinq de ces caves de capteurs d’humidité, de température, peut-être aussi de vibrations, pour faire un suivi sur le moyen terme (2-3 ans), voire long terme. Nous verrons comment réagissent les caves par rapport aux épisodes météorologiques extrêmes, ce qui permettra d’alimenter un modèle pour se projeter dans le futur, mais aussi de sensibiliser les responsables des caves. N’oublions pas que le milieu souterrain n’est pas parfaitement stable et protégé de tout. Les caves ont forcément des interactions avec les bâtiments au-dessus, les rues, les aménagements. La connexion surface-milieu souterrain est un aspect important du projet. La troisième phase du projet concernera la diffusion de la connaissance. Une fois qu’on a fait le modèle d’une cave en 3D, on peut la montrer dans tous les sens. On peut imaginer une cartographie à plusieurs échelles dans laquelle il serait possible de zoomer pour faire apparaître des réseaux de caves, des formes de cavités. Pourquoi pas aussi des visites virtuelles ? On pourrait travailler en partenariat avec quelques Maisons de Champagne qui sont déjà engagées là-dessus. Cellars c’est tout ça. Un projet exaltant !
Quel est l’intérêt de Cellars à vos yeux ?
Au GEGENA, Cellars va nous permettre de comprendre la géométrie et l’organisation des caves, ainsi que le lien avec la roche dans laquelle elles ont été creusées, mais aussi d’avancer avec le BRGM sur la question de la vulnérabilité face aux risques. Pour les informaticiens, il va s’agir d’apprendre à gérer des fichiers énormes et complexes, sachant qu’un réseau de 10 km de caves dépasse déjà le milliard de points. Pour ce qui est de la communauté champenoise, Cellars va l’aider à progresser dans la connaissance et la préservation de ses caves.
A quoi vont servir les 45 000 € collectés grâce au diner caritatif ?
Nous allons pouvoir acquérir un scanner portatif qui fonctionne avec la technologie LiDAR6. Elle consiste à faire des mesures à l’aide d’impulsions laser pour cartographier un environnement. C’est ainsi que l’IGN fait la cartographie HD de la France, un type de données sur lequel nous travaillons depuis 10 ans (LiDAR Montagne de Reims par exemple). Ce sont des appareils qui ont fait leurs preuves. Leurs performances se sont encore améliorées ces dernières années.
Comment le projet est-il découpé dans le temps ?
En 2026, on lance les premiers repérages, les premières numérisations, les premières données. On adaptera les outils et on affinera les méthodologies. On ira aussi chercher des financements complémentaires. Le projet se développera en fonction des moyens qu’on aura obtenus et des premiers résultats. Pour cette première phase, on part sur 5 ans, avec des points étapes sur le projet, les financements, les objectifs. Mais je pense que dans 5 ans on n’aura pas épuisé le sujet !
Les Maisons, les vignerons, les propriétaires de caves peuvent-ils s’inscrire dans le projet ?
Sur la base des connaissances que l’on a déjà, c’est nous qui solliciterons les uns ou les autres pour commencer. Après, ils pourront aussi se proposer via l’interface qu’on mettra en place, la Mission ou le Comité Champagne car l’idée est de travailler en collaboration. Et ensuite, quand on aura obtenu des premiers résultats, nous pourrions imaginer une campagne de sciences participatives beaucoup plus large par exemple.
Sentez-vous que le projet Cellars génère des attentes ?
Il suscite beaucoup d’intérêt, oui, et il soulève beaucoup d’interrogations. Le milieu souterrain émerveille mais intrigue aussi parce que c’est un patrimoine invisible, caché aux regards. Même quand on déambule à l’intérieur, on ne l’appréhende pas forcément. Ce n’est que quand on montre des images, qu’on montre les caves sur une carte ou dans une vidéo, que les gens se rendent compte à quel point le réseau est important. C’est la différence entre percevoir et savoir.
Savez-vous si ce genre de projet a déjà été mené sur d’autres sites viticoles ?
Pour l’instant, je n’ai pas trouvé d’équivalent. Il faut dire que le labyrinthe souterrain de la Champagne est unique. L’étendue des réseaux souterrains et leur intégration comme objets particuliers au sein du bien inscrit à l’UNESCO sont vraiment typiques de la Champagne. C’est là que le partenariat avec la Mission devient logique. Nous allons aider à mieux comprendre cet élément exceptionnel du Bien pour renforcer sa Valeur Universelle Exceptionnelle.
1 Groupe D’étude sur les Géomatériaux et ENvironnements Anthropisés
2 Institut International en Bioéconomie et Environnement
3 Sciences Humaines et Sociales
4 Laboratoire d’Information en Calcul Intensif et Image pour la Simulation
5 Bureau de Recherches Géologiques et Minières
6 Light Detection And Ranging
Crédit photographique : Michel Jolyot